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Pride in Parañaque River

En allant vers l'aéroport depuis la mer, sur NAIA Road (NAIA = Ninoy Aquino International Airport), on passe sur Parañaque River. Du moins c'est ce que dit la carte, parce qu'en réalité on ne le sait que parce qu'on longe de grands panneaux blancs.

 

 

On avait remarqué par hasard leur mise en place quelques jours avant la visite de Bush, l'an dernier. Ils étaient couverts d'immenses publicités "Wow Philippines" du département du tourisme. En voiture, on n'a pas le temps de s'arrêter, et de toute façon si on le fait, c'est dangereux à cause de la circulation.

 

 

Plus au sud, sur la même rivière, il y a un raccourci qui permet de retrouver Quirino Avenue sans passer par les grands axes. J'y avais déjà pris quelques photos d'un incendie. Alors qu'est-ce qu'il y a vraiment à cacher, maintenant, de l'autre côté ? Les mêmes bidonvilles sur la rivière ?

 

 

Bush avait bien dû se sentir prié d'avoir le temps de voir la publicité, en passant par là pour aller vers l'ambassade, en bord de mer. Puis les panneaux avaient été retirés. Il y a peu on a remarqué qu'ils sont revenus, mais ils sont seulement tout blancs. En fait ce sont des panneaux de bois, de ceux avec lesquels on construit des parois des maisons qu'apparemment on cherche à cacher.

 

 

Un blanc qui prend des photos et pose des questions ici c'est inattendu. Quelques enfants viennent me voir et je replace laborieusement mon peu de tagalog. Méfiante, une femme sort de sous le pont et me demande en anglais pourquoi je prends des photos.

— Parce que ce mur m'étonne. Pourquoi est-il là ? Pour cacher les maisons sur la rivière ?

— Peut-être que le président n'a pas envie de nous voir.

Ça fait rire tout le monde. Je la rassure : je suis prof dans une école française, pas journaliste. Elle me dit que plus loin, je peux prendre d'autres photos des maisons. Il fait trop chaud et je prends seulement ce qu'on est supposé ne pas voir d'en haut, puisque c'est pour ça que je suis venu.

Elle sait combien de familles vivent sous cette pile du pont, combien sous telle autre, combien dans les maisons de sa rive à elle, combien dans la rive d'en face... Dans le quartier 700 familles à peu près, elle confirme qu'il faut multiplier par 7 pour avoir une idée du nombre d'habitants. Elle s'appelle Marie-Kid, a vécu près des bases américaines (Subic), dit qu'elle donnait parfois des cours de tagalog à des soldats. Elle m'apprend "Maraming mahirap sa pilipinas" : il y a beaucoup de pauvres aux Philippines. Elle explique comme si on devait en douter que ses deux filles sont allées à l'école comme les autres, même si elles habitent ici. L'une est "graduate", l'autre infirmière.

 

 

Donc pas de grande surprise : derrière ces panneaux, c'est bien les bidonvilles de la rivière qu'il s'agit de cacher, probablement pas plus grands qu'avant, quand on les voyait. Marie-Kid dit qu'ils ont été installés à l'occasion d'une visite de gens importants de Singapour, comme pour la visite de Bush.

 

 

De l'autre côté du pont, c'est le même principe : du côté caché on n'a pas de peinture blanche. Le gros bidonville d'avant a été repoussé plus loin, à la place il y a trois cent mètres de rue avec des pots de ciment peints en jaune. D'autres familles sont restées sur l'autre rive ou se sont réinstallées l'autre côté.

 

 

Même si on cache que c'est misérable, et qu'on déplace les gens, ils (ou d'autres) reviennent. La rivière est habitée sur des kilomètres, des deux côtés. Et à Manille toutes les rivières sont habitées.

 

 

 

Du pont, on se moque de moi : "Hey Hoe ! Picture !". À quoi ça rime de prendre des photos ?

  

 

 

J'ai fait le tour pour aller parler aux gens pris depuis l'autre rive. Ça oblige à quelques détours. Au passage je suis tombé sur l'affiche municipale de Joyeux Noël aux habitants de Parañaque (Maligayang Pasko Parañaqueros), du moins à ceux de la route.

 

 

"Be part a of it" : est-ce que les gens de derrière les panneaux s'indignent ou c'est moi qui le fais artificiellement ? En vertu de quoi ? Je ne sais pas qui a posé les panneaux blancs, ni ce que font réellement les gens sur la photo.

 

 

De ce côté-ci ça étonne autant qu'on vienne poser des questions. Le tagalog sert de sésame, mais ensuite on se fout de ma gueule parce que je ne comprends rien aux réponses, dès que ça se complique. Et surtout je ne connais strictement rien aux autres langues qu'on parle ici : beaucoup de gens sont venus de Mindanao. À part des banalités, on a peu de choses à se dire.

 

 

Certains s'amusent de me voir, mais sont dérangés, et moi gêné. Je ne traîne pas, mais je prends quand même en photo les gens à qui j'ai parlé en premier, parce que ça leur ferait plaisir de s'avoir en photo. Ça m'obligera à y retourner : est-ce que j'aurai vraiment envie ? Une fois que je me suis réinstallé sur ma moto un petit garçon vient me demander de l'argent. Aux feux rouges du coin, beaucoup de petits enfants vendeurs ou mendiants : comme c'est bientôt Noël, ils chantent des "christmas carols", en agitant des bouteilles de plastique vides remplies de cailloux pour attirer l'attention.

La seule réponse obtenue à la question de savoir pourquoi il y a ces panneaux, c'est que pour les gens qui habitent derrière, ça signale la venue de gens importants aux Philippines. Du côté de ceux qui les ont fait poser, je n'en sais rien.

En tout cas quand on demande aux intéressés pourquoi il faut les cacher de la vue, ça les fait rire.